Le plumitif
J’aurais aimé être écrivain
Au cœur de l’humain
Dessiner des univers
Réels ou imaginaires
Flaubert ou Baudelaire
L'enfer
J'ai couru les prix littéraires
Mon éditeur me pressait
Les critiques m'ont cassé
J’écorchais des pages et des pages
J’y laissais des plumes et des plumes
Sitôt publiées sitôt oubliées
Je n’étais qu’un gratte-papier
J'ai perdu la ligne
Écrire mille lignes
Écrire cent lignes
Chaque jour je m’accrochais
Toujours aller à la ligne
Dix lignes dix lignes dix lignes
Voilà ce qui clochait
Je suis devenu journaliste
Démarré pigiste
J’aime les dessous d’la piste
Informer et décrypter
Et influencer
A fond
Je cours les salles de rédaction
Les rédac-chef me stressent
Les mesures d'audience m’oppressent
Je n'sais pas faire l’intéressant
Créer le scoop créer le buzz
Sitôt publié sitôt oublié
Je ne suis qu'un gâte-papier
Je tire à la ligne
Écrire cent lignes
Écrire dix lignes
Chaque jour je m’accroche
Toujours aller à la ligne
Dix lignes dix lignes dix lignes
Voilà ce qui cloche
Je voudrais être parolier
Dire le singulier
Le beau et le familier
L’ombre est un lieu inspirant
Elle rend tout plus grand
En fait
Je dois courir les interprètes
Placer partout mes chefs-d'œuvre
Avaler mille couleuvres
Je bégaie des clichés lunaires
Sitôt publiés sitôt oubliés
Je versifie à clochepied
Je rame en fin d’ligne
Écrire dix lignes
Écrire une ligne
Je sens que je décroche
Toujours aller à la ligne
Dix lignes dix lignes dix lignes
Voilà ce qui cloche
Point final
Notes
« Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne. »
Colette, La retraite sentimentale, 1907
« Il n’y a qu’un moyen de gagner de l’argent en écrivant,
c’est d’épouser la fille d’un auteur. »
George Orwell, Down and Out in Paris and London, 1933
« Tout écrivain dira donc : fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis. »
Roland Barthes, Le plaisir du texte, 1973
« J'écris seulement si quelque chose me coule du cœur jusqu'aux mains. »
Christian Bobin, La Lumière du monde, 2003
« On décide d'écrire parce qu'il y a quelque chose qui cloche,
sinon on se contenterait de vivre. »
Patrick Modiano, Souvenirs dormants, 2017